Prof de yoga, tu aimerais enseigner à des personnes en situation de handicap mais tu ne sais pas comment faire ?

Ou alors, tu es toi-même concerné par un handicap et tu aimerais pratiquer le yoga, mais tu ne sais pas comment ?

 Manuel va nous partager son expérience de vie et nous donner ses conseils pour adapter sa pratique ou son enseignement.

Spoiler : le handicap est assez complexe en général, il n’y a pas de recette miracle.

C. : Manuel, merci d’avoir accepté ma proposition d’interview ! Est-ce que tu peux nous parler de ton vécu par rapport au handicap et au yoga ?

Rencontre avec le yoga… à un camp naturiste

Manuel nous livre son expérience du yoga et du handicap
Manuel nous livre son expérience du yoga et du handicap.

M : bon je suis déjà un IMC : infirmité motrice cérébrale. J’ai eu un accident à la naissance, j’ai manqué d’oxygène… et après j’ai eu trop d’oxygène en couveuse. Ce que je comprends sur le sur le handicap, c’est la connexion entre le muscle et le cerveau.

Mais ça va beaucoup plus loin : tout est lié. La détente se cherche. Il y a quelque chose à comprendre.

Ce que j’ai déjà compris quand je faisais du du yoga avec Serge et Bernadette, c’est qu’ après une séance de yoga de 3 heures, j’avais plus de facilité pour parler. J’étais plus détendu et la respiration était fluide.

Je pouvais parler facilement !

C : ça tu la ressenti dès les premières séances que tu as faites ?

M : non peut-être pas. Mais l’important c’est de prendre son temps ! 

Plus on plus on passe de temps dans les postures, plus la détente s’installe…

Il n’y a pas que il n’y a pas que le yoga, je travaille avec les huiles essentielles en ce moment, et je vois des liens entre la nature  le travail respiratoire avec les huiles essentielles et le yoga… tout ça est lié ! C’est trouver des outils. 

Au niveau du yoga et du handicap, il ne faut pas rester que dans l’aspect traditionnel. Il faut pouvoir amener d’autres idées !

Je suis quelqu’un d’intuitif, et je ne me mets pas de barrière. J’ai du mal à mettre dans une tradition.

C : d’accord ! Donc tu vois le yoga comme une exploration de différents outils pour te faire du bien, c’est ça ?

M : oui, en tout cas effectuer une recherche. J’ai commencé, j’avais 19 ans, j’en ai 53 ! J’ai commencé par une rencontre en centre naturiste d’un naturopathe. C’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier. Je lui disais « moi je suis handicapé », il m’a répondu « moi je suis kiné ! ». 

C’est parti de là, et puis je le suivi pendant 10 ans.

Et après, qu’est-ce que j’allais faire ?

Quel cours de yoga quand on souffre de handicap ?

Bon, après j’ai fait du Vini yoga pendant six ans. Le problème que je rencontrais, c’est que j’avais pas assez de temps. C’est clair !

C’est moi qui me débrouillais pour faire les postures.

C. ah oui d’accord ! c’est à dire que tu prenais c’était des cours particuliers ?

M. : oui des cours des cours particuliers 

C : d’accord. Et quand tu dis pas assez de temps, c’est dans ton quotidien ?

M : c’est dans la séance elle-même ! Une heure c’est trop court ! Mais c’est déjà mieux que rien. Faire les postures, c’est pas toujours évident. Elle ne m’aidait pas, elle était à côté.

 Le travail avec Serge c’est un travail assez ostéopathique, c’est très physique ! 

Est-ce que c’est vraiment adapté aux personnes handicapées ? Ou est-ce qu’il faut vraiment un yoga adapté aux personnes handicapées ? Je ne pense pas qu’il faille.

Pour moi, c’est une démarche personnelle.  Entre la personne dans sa singularité et le prof !

Qu’est-ce qu’il peut apporter à la personne handicapée, et à la personne tout court ?

C’est à elle de se prendre en charge, de faire la démarche et puis de le faire !

Il y a une question de feeling et de confiance. A Paris quand je faisais du yoga, c’était pas évident.

J’avais décroché mon téléphone, c’était dans les années 2000. Il n’y avait pas Internet.  On ne savait pas trop ce que c’était un handicapé.

C : il n’y avait pas autant de connaissances en la matière quand tu as commencé en fait ?

M :  au niveau du yoga et du handicap,  non !

C : d’accord ! Donc la bonne nouvelle, c’est que c’est un sujet qui intéresse plus.

M :  les choses sont plus ouvertes avec Internet. Mon objectif quand j’ai quitté Paris, c’était de faire quelque chose au niveau des profs. De sensibiliser les profs de yoga au handicap.  Faire des modules, une réflexion au niveau du handicap et du yoga.

C : très intéressant ! Et alors, tu as tu as commencé ?

M : j’ai contacté des écoles, et puis c’est tombé à l’eau. C’était loin de chez moi… et il y avait trop de volonté à l’époque !

C : tu as un peu lâché prise depuis c’est ça ?

M : non, peut-être pas lâché. Il y a une question de fluidité. Les choses viennent à moi. Il y a peut-être quelque chose à faire au niveau de l’internet. 

Je ne sais pas comment vont réagir les profs à cette interview (NDRL : dites-nous en commentaire !).

Ce qui serait intéressant, ce serait de faire une suite !  Qu’il y aient des profs qui s’expriment.

il y en a qui donnent des cours à des personnes handicapées. C’est peu, mais il y en a.

C : dites nous en commentaire si vous connaissez des profs, des écoles ou des ressources sur le yoga et le handicap. Ca nous aiderait beaucoup !

Yoga sur un ballon

J’ai souhaité te donner la parole, puisque on a commencé à échanger dans le groupe Facebook yoga pour tous, où tu as partagé une vidéo d’une séance de yoga de toi avec Serge. Et j’ai trouvé ça très intéressant, parce qu’on voit comment vous travaillez ensemble. C’est presque une collaboration finalement dans cette pratique !

M : c’est très fluide ! C’est physique. Il était tout seul , il faut gérer le ballon… bon on se connaît, on se fait confiance

C : parce qu’il faut préciser que tu es en fauteuil, et donc pour cette séance Serge t’a porté pour t’aider à t’installer sur un ballon. Et c’est sur un ballon sous gonflé que vous avez pu travailler. Donc c’est pour ça que tu parles de travail physique. Toi, on sent certains moments où tu es en souffrance et d’autres où on sent le bien-être sur ton visage. Comment ça se passe dans ton corps et dans ta tête, pendant que tu pratiques ?

M : c’est peut-être un peu un peu… mais la confiance et les choses s’installent. C’est pour ça qu’il faut du temps. La détente a besoin de s’installer.

C : prendre le temps, c’est un conseil que je note précieusement. La confiance aussi, tu disais que c’est important d’avoir une relation de confiance avec son professeur ?

M : oui mais ça s’installe aussi avec le temps. Après, ça dépend comment on pratique. Ça dépend du handicap de la personne. On peut parler du handicap mais la personne :  sa singularité, son charisme, si elle est enfermée dans le dans le handicap…. parce que ça existe ça existe beaucoup !

Je l’étais aussi.

Parce qu’on n’est pas que des personnes en situation de handicap !

Personne handicapée… ou personne dans sa singularité ?

C : bien sûr !

M : il faut savoir où on met le curseur. On voit une personne handicapée, ou on voit une personne dans sa singularité ?

C : c’est ça.  Le regard extérieur ne doit pas aider, parce que comme c’est visible, ça doit te renvoyer souvent à ça. Jusqu’à s’identifier à ce handicap, alors que ça ne résume pas la personne !

Deux femmes invalides pratiquant le yoga
Yoga et handicap

M : oui, tu mets un point important. Tu mets l’accent sur l’aspect physique d’un « bipède normal ». Mais moi je mets l’accent la personne handicapée. Parce que la personne en face te voit d’une certaine façon, c’est son problème !

Mais tu as aussi un travail à faire à ce niveau-là. La personne handicapée aussi.

C : bien sûr.  Je pense qu’il doit y avoir un travail d’acceptation pour pouvoir se détacher ?

Acceptation du handicap ?

M :  pour moi ça va beaucoup plus loin. L’acceptation du handicap ne suffit pas. Parce que découvrir qu’on a autre chose que le handicap ; qu’on a d’autres possibilités…. Les possibilités sont infinies ! Là il faut pouvoir s’ouvrir à ces possibilités.

« Les possibilités sont infinies ! »

C : donc c’est un travail d‘introspection ? Je ne sais pas si on peut parler de développement personnel, je n’’aime pas trop ce mot, mais de connaissance de soi que tu préconises c’est ça ?

M : oui, je préfère « connaissance de soi ». Parce que je fais une différence entre le handicap et la singularité.

Quand je parle de singularité, on met le handicap dedans. Quand je parle de handicap, c’est limitant.

Pour moi, je vais beaucoup plus loin. Je pense que le handicap n’existe pas. Quand je pratique du yoga avec Serge, je ne me mets pas dans une situation où je suis handicapé ! Je n’ai pas cette étiquette-là. Serge ne travaille pas avec une personne handicapée. Je ne me sens pas handicapé quand je fais du yoga non plus. Mon corps est handicapé, d’accord !

Il y a des possibilités infinies. Il y a des postures que je n’aurais jamais pensé faire !

Serge me proposait des choses, j’y allais ! Et le travail se fait toujours dans la détente. C’est quelque chose d’important la détente.

C : c’est beau ce que tu dis ! Les choses se développent petit à petit. Je pense qu’on peut tous se reconnaître là-dedans… parce que moi aussi je fais des postures que je n’aurais jamais pensé faire ! Mais ce n’est pas en s’acharnant, en étant dans le contrôle et dans la volonté que ça va aller plus vite.  

Lâcher-prise sur le handicap

M : C’est dans le lâcher-prise, mais ce n’est pas laisser tomber ! 

C : C’est se donner les moyens d’y arriver quand même.

« Lâcher-prise, ce n’est pas laisser tomber. C’est se donner les moyens d’y arriver quand même ».

M : il y a quelque chose qui nous guide. Il y a un lâcher prise, mais on est là. Si on lâche quelque chose, c’est le handicap !

Il y a un laisser-aller dans la posture.  Si on impose de faire, de respirer dans le mouvement ça devient plus compliqué.

Si on aborde le pranayama (contrôle du souffle), on touche à nos limitations.

C :  ah oui ? C’est plus difficile le pranayama que les postures pour toi ?

M : peut-être, oui. Mais il y a quelque chose à comprendre. A l’époque, les huiles essentielles m’auraient aidé.

Parce que l‘huile essentielle apporte quelque chose au niveau respiratoire. Mais on dépasse on dépasse le yoga. 

C : oui mais c’est intéressant, parce qu’on peut ouvrir aussi le champ de vision. Yoga, ça signifie union à la base !

M : oui, il y a la sophrologie qui s’ouvre aux huiles essentielles.

C’est aussi à la personne de voir ce qui lui convient, tester différentes choses… il faut se donner les possibilités d’être curieux, travailler sur le ressenti… La détente est une recherche.

« Tout passe par la détente ».

C’est s’ouvrir. Tout passe par la détente.  

C : c’est très spirituel ce que tu dis, c’est philosophique ! On voit l’ouverture d’esprit , une forme de conscience que tu as de cette globalité des choses…

M :  oui, c’est pour ça qu’il ne faut pas s’enfermer dans quelque chose. 

J’ai rien contre la tradition mais je trouve ça dommage de s’enfermer dans quelques choses de trop traditionnel.

C : bien sûr ! Il y a cette phrase souvent citée : « ce n’est pas à toi de t’adapter au yoga, mais c’est au yoga de s’adapter à toi » ( Desikachar).

M : moi je ne m’adapte pas au yoga, ni le yoga s’adapte à moi ! 

C : ah bon ?

M : j’essaie de vivre ce que j’ai à vivre… 

Yoga sur chaise roulante
Yoga sur chaise roulante

L’expérience du yoga

C : c’est plus une histoire d’expérience pour toi en fait ?

M : quand on est dans le dans la posture pour moi, il n’y a pas de mental nébuleux. Et au repos, après on a les fruits… ou pas !

La notion de handicap n’existe pas, parce que je peux me permettre d’être dans une détente. 

C : oui c’est ça ! L’âme, au sens large, elle est là ! Il n’y a pas de handicap à ce niveau.

M :  non, il n’y a pas de limite. La détente elle est là.

On va reprendre l’exemple du ballon ou de la posture, parce que je suis peut-être tendu au départ.

Il y a un aspect qu’on n’a pas abordé, c’est que chez un IMC il y a la plasticité. Il y a des contractures musculaires qu’on ne « contrôle » pas.

Contrôle pas, je mets entre guillemets parce que si on prend une image, c’est que si je contracte un muscle, je contracte tout le corps en même temps.

Ce qui m’arrive là, peut-être à l’heure actuelle quand je parle. Mais j’ai appris par moi-même à avoir un discours fluide.  J’ai parlé de yoga, un peu d’huile essentielle, mais il y a la lithothérapie que je pratique aussi et qui m’aide à ce niveau-là.  Je suis beaucoup plus fluide, plus détendu.

C’est une continuité tout ça pour moi ! Le yoga ce n’est pas que les postures… c’est une recherche, il y a une continuité, un fil conducteur.

Il y a quelque chose qui me guide, je le sens.

Quand je suis venu sur Nantes, je voulais absolument sensibiliser le monde du handicap au yoga,  et le monde du yoga au handicap… Il y avait trop de force, trop de volonté à l’époque !

J’étais trop dans le handicap. Et il y avait trop d’obstacles entre guillemets. Maintenant, il y a une guidance… je sais que ça se fera, mais je ne sais pas comment.

Je sais qu’il y aura une suite à cette interview. J’espère que ça amènera une prise de conscience, une curiosité, une envie d’aller plus loin… que ce soit dans la pratique du yoga, ou peut-être la connaissance de soi !

C : tu as donné beaucoup de clés, et je ne m’attendais pas du tout à ce que ça prenne un tour aussi profond… moi ça me donne envie d’aller plus loin.  En tant que prof, je pense qu’il y a quand même des bases à connaître sur la situation physique du handicap pour une question de sécurité. Mais au-delà, il y a la relation, l’envie de le faire et le travail d’équipe, non ?

M :  une connaissance du handicap, oui et non ! Tout dépend du prof, du handicap de la personne…

C’est vaste ! Tout dépend de la personne, si elle connaît le handicap ou pas, comment elle travaille sur elle… faut pas rester que sur le handicap non plus !

C : oui, c’est plus large en fait.

Enseigner le yoga à un public handicapé

M :  après ça dépend du contexte aussi ! J’ai vu des profs de yoga qui donnaient des cours à des personnes handicapées en institution, dans un foyer de vie…  Là c’est plus compliqué !

Les personnes handicapées ne pouvaient pas fermer la bouche, elles avaient beaucoup besoin de parler.  C’est un groupe, il faut s’adapter ! Là c’est complexe parce que on ne parle plus de cours individuel mais à des groupes d’handicapés ! Tu es tout seul, tu n’as peut-être pas le moyen de réfléchir au sujet et d’avoir des conseils…. Ca se passait bien, elle aimait bien la personne qui donnait des cours.

Elle était face à une difficulté : c’est que tu fais ça un moment, puis après tu as envie de passer à autre chose… mais personne ne voulait prendre la suite. Une approche intéressante c’est d’avoir un roulement. Que ce soit pour la personne handicapée ou pour la prof, c’est intéressant de passer le relais à quelqu’un d’autre.

Ça évite de s’enfermer dans quelque chose, surtout en groupe de personnes handicapées. 

Encore une fois, ça dépend de la personne handicapée, de la prof … moi ça ne me gêne pas d’avoir quelqu’un d’autre  parce que j’ai des bases déjà.  

Je suis autonome à ce niveau là.

C : tout le monde n’est pas dans ton cas ! Un groupe, c’est encore une autre énergie. C’est très différent, que ce soit pour le prof ou pour les élèves… ce n’est pas le même travail ! C’est bien de pouvoir faire les deux, mais peut-être que toutes les personnes ayant handicap ne peuvent pas forcément se tourner en cours collectif. Peut-être que c’est mieux de commencer par un cours particulier, selon les cas ?

M :  oui, pourquoi pas ?  Ce n’’est pas le même travail.

En dehors du handicap, pourquoi tu y vas ? Pourquoi la personne handicapée vient faire du yoga … la personne dans sa singularité !

C : la personne tout court !

M : et est-ce qu’elle se déplace, ou est-ce que la prof vient à domicile ?

Là aussi, on ne fait pas le même travail à domicile que si on se déplace… Tout dépend de la place que la prof a chez elle, dans une salle … le matériel qu’elle a, le yoga qu’elle pratique… Que la personne handicapée fasse du yoga, c’est l’objectif, mais il ne faut pas qu’elle aille n’importe où non plus !

Il faut être prudent…. Déjà, quelqu’un de valide va faire du yoga mais se blesse…. ce n’est pas normal !

C : tout à fait et ça arrive ! C’est pas hyper fréquent, heureusement mais ça peut arriver….

M : j’entends ma kiné qui me dit « j’ai des élèves qui font du yoga qui se blessent » ! C’est pas normal.

C :  alors attention après ça peut venir du prof, mais ça peut venir de l’élève qui n’écoute pas ses limites aussi.

M : Il y a les deux, oui ! Mais bon je ne voudrais pas que la personne handicapée se retrouve plus handicapée qu’elle n’est ! C’est encore plus important de bien choisir, pour préserver sa santé et ne pas avoir de risques supplémentaires. Mon objectif, c’est que la personne aille de l’avant, qu’elle se prenne en main… en fonction de son handicap.

Il y a toujours quelque chose à faire ! J’ai un chien d’assistance, ça fait 30 ans… j’ai déjà été à des stages où on apprenait l’anatomie du chien, comment s’occuper du chien… bon on apprenait beaucoup de choses. C’était pendant deux semaines. La première semaine, le gamin handicapé se levait tout seul de son lit !

Pour moi, le handicap a des possibilités qu’on ne sait pas obligatoirement… c’est pas mental.

Le regard des autres sur le handicap

On est dans une société où on met une image à quelque chose, à une personne et si on s’enlève de l’aspect bon je suis limité au handicap bon ben là on met un handicap supplémentaire.

Sport et handicap

C :  oui c’est sûr c’est sûr. J’avais vu une série sur Netflix où des personnes qui , suite à un accident se retrouvent handicapée. Les médecins leur disent que ils ne pourront plus jamais marcher de leur vie… Mais grâce à un travail de visualisation  combiné à des exercices, tous les jours, ces personnes arrivent à remarcher…. ce qui est presque un miracle, par rapport à ce que disaient les médecins !

M : il y a quelques il y a quelque chose de piégeux dans cette dans cette approche. Je pense à Philippe Croizon. C’est quelqu’un qui a perdu ses membres : ses jambes, ses bras… c’est un grand nageur qui a fait les quatre continents à la nage ! Il veut aller dans l’espace, mais ce que je reproche c’est qu’il veut toujours surpasser son handicap.

C : comme une revanche un peu, non ?

M : il il a fait un travail intéressant sur  l’acceptation, mais il veut toujours surpasser…. Pour moi, ce n’est pas mon chemin. Il y a un côté un peu ego, où la personne veut prendre le pouvoir et veut aller plus loin, parce qu’elle veut vaincre ou se prouver des choses….

C’est ce qui c’est ce que font les sportifs ! C’est la la recherche de performance.

C : mais en même temps il peut donner un message d’espoir à d’autres personnes comme lui ?

M : je ne suis pas contre, mais dans l’aspect du sport. Il y a des gens qui de haut niveau qui font des trucs surprenants, qui se piquent pour avoir des performances… c’est là que le handicap n’existe pas . Parce qu’on retourne dans les travers de quelqu’un de valide !

C : c’est vrai ! Intéressant ce que tu dis, on retrouve les travers de l’humain….

M :  quand on dit que quelqu’un est handicapé, c’est comme si on mettait quelque chose … bon bah lui il est vieux il est noir il est…

C : on l’enferme dans une case ?

M :  voilà ! On l’enferme dans une case. Pour moi c’est une erreur.

C :  c’est une erreur, c’est sûr ! Mais après ce que tu disais, qui était intéressant, c’était de se détacher du regard de l’autre. Parce qu’on ne peut pas maîtriser comment les autres nous perçoivent !

Voir la vidéo : Avoir le courage de ne pas être aimé : un livre qui donne les clés de la liberté

M : La personne qui me perçoit d’une certaine façon… c’est son problème ! Pas le mien ! J’ai déjà assez de problèmes, je ne vais pas me rajouter des couches.

Mais j’ai peut-être quelque chose à changer chez moi…. si je m’attache à ce que la personne me en face me renvoie, il y a peut-être quelque chose à changer.

C : 

c’est sûr ! C’est comme les complexes physiques. Pour prendre un autre exemple, à une époque je complexais sur une partie de mon corps … Et comme par hasard, quand j’avais ce complexe, je recevais beaucoup de remarques. C’était sur mon ventre, et la dernière fois j’étais debout, et mon chef à côté de moi me regarde et me dit : « bah dis donc, Claire tu as pris du ventre ! ».

Et je l’ai regardé et j’ai répondu « J’ai toujours eu du ventre en fait » !  Ce jour-là j’ai accepté que ça fasse partie de ma morphologie. Que je grossisse ou que je mincisse, j’aurais toujours la même proportion ! Le fait qu’il me fasse une remarque là-dessus, peut-être que lui-même était complexé par son ventre.

Mais en tout cas, je ne l’ai pas pris pour moi. Je lui ai renvoyé le truc, et ça m’a fait du bien. Les filles autour étaient choquées, parce que c’était quand même assez violent. Personne n’aime les remarques sur le physique. Ça doit faire deux ou trois ans et depuis, plus personne ne m’a parlé de mon ventre.

Pourtant je fais des vidéos en brassière, j’ai mon bide apparent mais je m’en fous. Enfin, je pense que ça joue comment nous on se perçoit. Si on a un truc qui cloche, ou qu’on s’identifie trop à une partie de nous, les autres peuvent nous le renvoyer.

Donc comme tu dis, c’est intéressant de prendre un pas de côté pour voir : « Tiens, cette personne-là m’a parlé de ce handicap , ça me travaille… pourquoi ça me travaille ? ». A partir de là, on peut modifier notre perception.

M : quand j’ai un chien d’assistance, les gens viennent plus facilement vers moi. Ils voient moins le handicap peut-être. Ils ont plus de facilité à m’aborder.

 Mais moi, je change le curseur. Au lieu de voir de ce qui se passe à l’extérieur, je me dis que je vais peut-être changer aussi parce que j’ai un chien. Je vais plus facilement vers les gens aussi !

L’apport  du chien nous fait changer aussi.

Et c’est la même chose en yoga. Je peux faire un parallèle : on vient avec nos difficultés, et puis après on voit qu’on a des possibilités !

Mais ça ne concerne pas que le handicap !

C’est très riche.

Le politiquement correct

C :  il y a beaucoup de choses à méditer dans tout ce que tu viens de dire. J’aimerais qu’on termine chacun par un vœu. Je commence :

Je souhaite que de plus en plus de rencontres se fassent entre des personnes, qu’elles soient en situation de handicap ou pas… mais des personnes au sens large, et le yoga.

Et que le handicap ne fasse plus peur.

Qu’ on arrive à voir au-delà, et que les personnes puissent s’épanouir. Que le yoga soit un outil de révélation, d’épanouissement, et de détente pour elles.

M : la peur n’est pas qu’une question de valide face au handicap. Il y a aussi sûrement des handicapés qui ont du mal à aller vers les autres. Ou alors ils y vont ,mais trop en force.

Il n’y a pas assez de détente, de fluidité.

Quand je discute avec quelqu’un, je ne mets pas ma casquette d’handicapé !

C : c’est ça ! Quel serait ton vœu ,Manuel ? 

M : il y a quelque chose à créer au niveau du handicap et du yoga. Je ne sais pas encore comment.  Il y a des choses à faire. J’aimerais sensibiliser le plus de monde possible, faire réfléchir et faire avancer les choses !

Aller de l’avant, au niveau des profs de yoga… et puis il y a aussi les personnes handicapées.

Je pense aux parents d’enfants handicapés. Il y a  des choses à créer au niveau de l’acceptation du handicap… parce que ce n’’est pas toujours évident. Pour les parents, il y a un travail au niveau du yoga. Mais ça dépasse le yoga, ça peut être le Qi qong, une autre approche au niveau du corps… Il y a un travail au niveau du corps, des corps ! Parce qu’on n’ a pas que le corps physique.

C : oui c’est ça ! Merci beaucoup Manuel… C’est un très bel échange. Merci du fond du cœur pour tous ces beaux messages !

Quel avenir pour yoga & handicap ?

M : j’espère qu’il y aura une suite !

C : on pose l’intention ici ! Que plusieurs formations se développent pour les profs de yoga et Handicap, pourquoi pas des accompagnements pour les proches… 

M : Dans tous les cas qu’il y ait une réflexion sur le handicap. 

C : ça c’est clair. Mieux connaître, je pense que c’est la base en fait.

M : on tourne trop autour du pot ! On parle de personne à mobilité réduite : 

PMR. Mais il faut y aller  franco ! Le handicap c’est le handicap…  ou plutôt c’est LES handicaps parce qu’il y en a beaucoup !

C : exactement ! Récemment, j’ai interviewé l’auteur du « La vérité sur l’obésité » et j’avais remarqué l’expression « personnes en situation d’obésité » et moi je disais obèse.  Je lui ai posé la question, pourquoi cette tournure ? Elle m’a répondu que c’est pour ne pas heurter les mentalités. C’est ce qu’on appelle le politiquement correct. Quand on écrit un livre , je comprends tout à fait, c’est une question d’image. Mais le fait d’avoir peur des mots, finalement peut-être que ça participe à toutes ces barrières qu’on se met !

Et aussi dans son livre elle explique bien qu‘il n’y a pas UNE obésité mais DES situations d’obésité. Alors c’est deux choses différentes avec le handicap, mais je vois ces deux points communs !

M : oui, la personne dans sa singularité ! Ne pas mettre tout de suite une étiquette d’handicapé. 

Il faut aussi que la personne handicapée accepte de se prendre en charge, on ne peut pas faire le travail pour elle !  C’est aussi une conclusion.

C : exactement ! Dites-nous en commentaire ce que vous en pensez !

Ressources supplémentaires partagées par Manuel :

Rencontre entre Adda Abdelli & Patrick Segal « ça a bouleversé ma vie, on peut faire autre chose ».

Danse les yeux fermés : ateliers ouverts aux personnes valides ou souffrant de handicap visuel.

Dorine Bourneton, première femme au monde handicapée et pilote de voltige | Pauline Laigneau

Parcours de Salim Ejnaini, non voyan au Longines Masters de Paris

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18 commentaires

  1. Merci Claire pour cet article plein d’espoir.
    c’est une très bonne idée de mixer handicap et yoga.
    Tout est possible, le mot impossible n’existe pas.
    Nous sommes les seuls à nous fixer des limites.
    L’histoire des personnes qui remarchent après un accident que tu mentionnes, m’a fait penser à une autre histoire que raconte Napoléon Hill dans son livre Pensez et devenir riche sur son fils né sourd qui a trouvé un moyen d’entendre.

  2. Tres bel article. En effet le yoga est une tres belle discipline pour développer l acceptation de soi et l ancrer dans son corps et son esprit. Bravo pour cette belle interview ❤️

  3. Bel article, et superbe interview ! On comprend bien que le yoga ne se résume pas à la posture : c’est un outil parmi d’autres. La « perfection » telle qu’elle est présentée actuellement n’a pas sa place dans cette recherche. C’est aussi un véritable espoir, comprendre que quoi qu’il nous arrive dans la vie, l’accès au yoga ne nous sera jamais fermé. Une porte peut se fermer suite à un accident, à l’âge, à une maladie… Mais il y en a tant qui peuvent être ouvertes !

  4. Une profonde admiration pour cette énergie, ce témoignage et ce partage qui permet de dépasser ses appréhensions par rapport au yoga ! merci beaucoup.

    1. Merci Noucia pour ton retour enthousiaste ! Je suis d’accord avec toi, l’énergie de Manuel est communicative et c’est un bel exemple : « si lui peut le faire pourquoi pas moi ? » !

  5. Wouah, quel bel article, c’est très émouvant! Merci beaucoup d’avoir choisi ce sujet et de l’avoir traité avec un ton aussi juste. J’ai vraiment aimé, merci!

    1. Merci Véronique, ravie que ça t’ait plu et touchée 🙂 c’était un grand moment pour moi aussi, l’interview a pris un tour inattendu. Je m’attendais à des conseils pratiques et je me retrouve avec une leçon de vie !

  6. Une belle leçon de vie et un point de vue qui fait réfléchir! Le yoga doit être adapté à tous! Force à Manuel! Le yoga change la vie!

  7. Cet article est très intéressant ! J’ai beaucoup apprécié le format de l’interview, la personnalité et la sagesse de Manuel. C’est un témoignage inspirant sur la façon dont le yoga peut aider à surmonter les obstacles et à améliorer la qualité de vie. On voit tout à fait comment le yoga peut être adapté à toutes les capacités physiques et comment il peut être une pratique bénéfique pour tous. C’est une belle démonstration de l’importance de l’inclusion et de la diversité dans la pratique du yoga. Merci pour cet article inspirant !

  8. Super interview qui invite à la réflexion ! Je pense que le Yoga est le sport parfait pour tout le monde, peu importe sa condition physique – car on peut adapter les postures, y aller en douceur et prendre le temps pour accepter son corps et pour progresser. Et ça, c’est formidable !

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